Avec Emilie Verneuil, Francois Lequeux, Laurence Talini (SVI, Saint Gobain CNRS, Aubervilliers) et Laurent Limat (MSC, Université Paris Diderot)
De la mousse aux films liquides suspendus : effets antimousse dans les mélanges d’huile
Thèse de Léa Delance (2023), Ange Combrouze (2023-2026)
La formation parasite de mousses liquides est un problème fréquemment rencontré dans les procédés industriels. Le PDMS (Polydiméthylsiloxane), dispersé sous forme de gouttes micrométriques dans le liquide, est souvent utilisé comme anti-mousse. Si les mécanismes de déstabilisation par le PDMS sont bien connus dans le cas des mousses aqueuses, celui des mousses non-aqueuses a été peu examiné alors même que des effets
étonnants sont rencontrés, comme l’effet pro-moussant du PDMS dans certains mélanges. Dans cette thèse, nous cherchons à comprendre les mécanismes spécifiques de déstabilisation des mousses d’huiles par le PDMS en examinant les interactions entre l’air, le liquide moussant et les gouttes anti-moussantes. Nous caractérisons parfaitement le mélange ternaire de liquides choisi et nous développons des dispositifs expérimentaux permettant des mesures de la stabilité des mousses à toutes les échelles, du centimètre à la dizaine de nanomètres. Dans un premier temps, nous avons montré que l’insolubilité du PDMS dans le mélange étudié est une condition nécessaire mais non suffisante pour obtenir un effet antimousse. Dans un second temps, nous nous focalisons sur les mélanges biphasiques et nous étudions le transport et l’entrée des gouttes à l’interface air-liquide, que nous modélisons par un processus d’advection-diffusion. Ce modèle est validé par la mesure de la tension de surface d’une bulle immergée dans le liquide. Enfin, nous analysons l’effet du confinement des gouttes dans des films suspendus, reproduisant les films de liquide qui séparent les bulles dans une mousse. Nous avons montré que l’amincissement local du film est dû à l’étalement d’une goutte à sa surface, ce qui entraîne le liquide sous-jacent et provoque son éclatement prématuré. Nous expliquons pourquoi, malgré un étalement plus lent, les gouttes plus visqueuses font éclater les films plus efficacement. Finalement, nous parvenons à une description complète de l’effet de la dispersion de gouttes riches en PDMS sur la stabilité de mousses composées d’un mélange d’huiles.
Figure 1 - (gauche) Colonne de mousse obtenu par bullage d’air dans un mélange de deux huiles. Le liquide de plus basse tension de surface agit comme un tensioactif et stabilise la mousse par effet d’élasticité de Gibbs décrit sur le schéma. (droite) Image par interférométrie d’un film liquide suspendu. Les teintes de Newton indique l’épaisseur du film, submicrométrique. Le film draine avant d’éclater, comme pour un bulle.
References
H. P. Tran, L. Delance, N. Passade-Boupat, E. Verneuil, F. Lequeux, and L. Talini,
“Foaming of binary mixtures : Link with the nonlinear behavior of surface tension in
asymmetric mixtures,” Langmuir 37, pp. 13444–13451, 2021
L. Delance, C. Veillon, N. Passade-Boupat, F. Lequeux, L. Talini, and E. Verneuil,
“Uptake kinetics of spontaneously emulsified microdroplets at an air-liquid interface,”
Soft Matter 18 pp. 5060–5066, 2022
Mouillage dynamique liquide/liquide/solide : rôle du tensioactif
Thèse de Gaëlle Rondepierre (2021), Marion Le Guével (2021-2024)
Des tensioactifs sont couramment utilisés pour contrôler le comportement d’interfaces avec des liquides, que ce soit en détergence, dans les mousses de savon, pour stabiliser des suspensions ou contrôler l’étalement de gouttes de spray sur des surfaces. Dans la littérature, le cas du mouillage statique d’une goutte liquide sur un solide immergé dans un autre liquide, de l’eau par exemple, a fait l’objet de peu d’études quantitatives. En mouillage dynamique, les transferts de tensioactifs aux différentes interfaces se couplent au mouvement de la ligne et modifient la mouillabilité des surfaces : la situation est donc complexe.
Figure 2 - Mouillage du dodécane sur la silice dans une solution aqueuse contenant des tensioactifs cationiques qui s’adsorbent sur la silice. L’adsorption se traduit par une augmentation de l’affinité de la surface pour l’huile à l’équilibre. La dynamique fait apparaitre une dissipation à la ligne triple interprétée comme un frottement moléculaire. Pour ces deux grandeurs mesurées indépendamment, deux régimes apparaissent : à faible concentration de surface, les tensioactifs sont fortement adsorbés. Ils favorisent le mouillage statique mais ralentissent fortement sa dynamique. Au-delà d’un seuil, les tensioactifs supplémentaires se désorbent et ne participent à aucun de ces deux effets.
En mesurant la dynamique d’avancée de l’huile sur de la silice immergée dans des solutions aqueuses de divers tensioactifs cationiques, nous avons quantifié l’effet sur l’hydrophobisation de la silice de l’adsorption du tensioactif : l’affinité de l’huile augmente avec la quantité adsorbée puis sature, ce qui favorise le mouillage statique de l’huile (Fig. 2). Nous avons montré que ce n’est cependant pas cet effet qui domine la modification de la dynamique du mouillage. Un mécanisme de dissipation par frottement de la ligne triple émerge et s’amplifie avec la quantité de tensioactif adsorbé (Fig. 2). Il vient ralentir le mouillage de l’huile alors que la surface solide devient de plus en plus hydrophobe. Ce résultat, contre-intuitif, a pu être renforcé par une interprétation à l’échelle moléculaire : Le frottement moléculaire a été relié aux hétérogénéités spatiales des tensioactifs adsorbés. De plus, seuls les tensioactifs fortement adsorbés par liaison électrostatique participent. Les autres, qui forment la bicouche, se désorbent au passage de la ligne triple. Cet effet explique les plateaux obtenus sur les mesures d’affinité et de frottement. D’un point de vue pratique, nous avons ainsi montré que le mouillage statique est, certes, contrôlé par les modifications de tension interfaciale résultant de l’adsorption de tensioactifs, mais que la dynamique d’étalement peut être ralentie par des effets de frottement de ligne au point que le mouillage n’a pas lieu. L’additif ne joue alors pas le rôle escompté.
Le processus inverse de décollement d’une goutte sous l’effet d’un cisaillement visqueux est maintenant étudié, en particulier dans le cas de solutions micellaires de tensioactifs pour lesquelles l"huile peut se solubiliser dans les micelles, et également pour des formulations modèles permettant d’atteindre des niveaux de tension interfaciales eau/huile très basses. Au moyen d’un dispositif millifluique, nous cherchons à décrire les mécanismes de solubilisation et de décollement de manière quantitative.
Figure 3 - Schéma du montage millifluidique permettant la mesure de la contrainte visqueuse de décollement d’une goutte d’huile soumise à un écoulement de solutions aqueuses de tensio-actifs de concentration et salinité variées. (Haut gauche) Image de la goutte juste avant détachement
References
G. Rondepierre, F. Lequeux, E. Verneuil, N. Passade-Boupat, and L. Talini, “Spinodal stratification in micellar films between oil and silica,” Physical Review E 103 (5) 052801, 2021
G. Rondepierre, F. De Soete, N. Passade-Boupat, F. Lequeux, L. Talini, L. Limat and E. Verneuil, “Dramatic Slowing Down of Oil/Water/Silica Contact Line Dynamics Driven by Cationic Surfactant Adsorption on the Solid,” Langmuir 37 (5) pp. 1662–1673, 2021
Stabilité de gouttes liquides confinées couvertes de particules : rôle du transport à l’interface
Thèse de Franz De Soete (2021)
Dans de nombreux procédés de traitement des eaux, la question de la stabilité de gouttes d’huile dans l’eau se pose, en particulier lorsque des grains solides viennent stabiliser la surface des gouttes, ce qui empêche par exemple la coalescence et le crémage de telles émulsions. La filtration de ces émulsions est alors envisagée et on cherche à prévoir la stabilité des interfaces de gouttes d’huile recouvertes de particules solides lors de leur passage dans des pores.
A l’équilibre, une interface liquide/liquide couverte de particules a un comportement qui a été bien décrit dans la littérature. Lorsque le taux de couverture en particules est faible, l’interface est caractérisée par la même tension interfaciale qu’en l’absence de particule. On peut aussi parler de pression de surface nulle dans le cas dilué. En augmentant le taux de couverture de l’interface par des particules solides au-delà d’une fraction de surface seuil, l’émergence d’interactions répulsives entre particules conduit à une augmentation de la pression de surface de l’interface. Un autre seuil peut être franchi lorsque les particules se touchent : l’interface se comporte alors comme une plaque élastique 2D à laquelle on peut attribuer des modules de compression et de courbure, de sorte qu’on peut voir l’interface flamber et se rider. Ainsi, lorsqu’une goutte d’huile couverte de particules traverse un pore, le mouvement de la goutte et celui du radeau de particules sont susceptibles de se coupler via l’émergence de cette pression de surface et de ses gradients.
Figure 4 - Gouttes d’huile couvertes de particules de silice poussée à travers un pore cylindrique en verre dans l’eau. Rayon goutte : 125 µm, pore : 25 µm. (a) Images à différents instants. A grande vitesse et pour des petites particules adsorbées, le radeau de particules s’accumule à l’arrière de la goutte en entrée de pore mais est ensuite efficacement rappelé vers l’avant. (b) Tailles de particules différentes : pour une même position de la goutte, le radeau est d’autant plus ralenti par frottement sur les parois que les particules sont grandes (voir flèche). (c) Images à différents instants. A faible vitesse, le film de lubrification démouille ce qui bloque le radeau. Il flambe et des rides apparaissent à l’arrière de la goutte (voir insert).
En réalisant des expériences (Fig. 4) sur un système modèle où une goutte de rayon donné traverse un pore cylindrique à la géométrie bien définie, poussée par une différence de pression contrôlée, nous avons pu décrire les régimes d’écoulements des gouttes et du radeau et en rendre compte par des modèles. Nous pouvons notamment prédire les situations dans lesquelles la goutte se sépare des particules solides initialement adsorbées à sa surface (Fig. 5). Les régimes d’écoulement dépendent des modes de relaxation de la pression de surface qui s’accumule à l’arrière de la goutte quand celle-ci entre dans le pore. Le premier mode de relaxation est le rappel du radeau de particules vers l’avant de la goutte (Fig. 4a) : ce mouvement est permis si le radeau ne frotte pas sur les parois du pore, donc si le film de lubrification ne démouille pas (Fig. 4c) et est assez épais devant la taille des particules (Fig. 4b). C’est donc le nombre capillaire de la goutte qui compte. Le second est le flambement du radeau et l’apparition de rides (Fig. 4c, insert), qui dépend du diamètre du pore et des particules. Nous avons montré que l’expulsion totale du radeau a lieu lorsque la pression de surface ne peut relaxer par aucun de ces deux mécansimes (Fig. 5).
Figure 5 - Au-delà d’un diamètre seuil de particules, la pression de surface ne relaxe ni par l’apparition de rides ni par le rappel du radeau vers l’avant. Les particules sont totalement expulsées de l’interface.
References
F. De Soete, N. Passade-Boupat, L. Talini, F. Lequeux, and E. Verneuil, “Stability
of particle laden interfaces of drops flowing through a pore,” Physical Review Fluids
7 104002, 2022.
5[2] F. De Soete, L. Delance, N. Passade-Boupat, M. Levant, E. Verneuil, F. Lequeux, and
L. Talini, “Passage of surfactant-laden and particle-laden drops through a contraction,” Physical Review Fluids 6, 2021.